L’épisode COVID-19 a mis en évidence les failles et faiblesses d’une spécialisation et d’une mondialisation trop poussées du monde, et a remis sur le devant de la scène des concepts que l’on pensait dépassés : régionalisation, souveraineté, résilience, robustesse de la chaîne d’approvisionnement, disponibilité des intrants.
Les tensions géopolitiques, conséquence de la recherche d’un nouvel équilibre mondial lui-même fruit de l’évolution des rapports de force idéologique, économique, et démographique, sont venues exacerber cette nouvelle réalité pour certains, conforter l’évidence pour les autres.
Dans cette étude, nous allons approfondir la réflexion sur les routes commerciales et leurs imbrications dans la géopolitique du monde. Cette étude se décompose en trois volets : le premier traitera des facteurs “hard”, en l’occurrence la géographie, la démographie, et brossera une brève fresque sur l’histoire des routes commerciales ; le deuxième se concentrera sur les routes modernes et la situation qui prévaut à l’heure actuelle ; le troisième et dernier volet s’attachera sur les évolutions à prévoir et sur la manière idoine de se positionner dans cette nouvelle cartographie des routes commerciales.
Volet 1 : Le Hard et l’Histoire des Routes Commerciales
1.1 Les Invariants Géographiques et Démographiques
Le monde, d’un point de vue géographique, se découpe en deux univers interdépendants : la terre pour 29% et l’océan pour 71%.
L’hémisphère nord (255 millions de km²) concentre la majorité (66%) des terres émergées, néanmoins son centre géographique en l’occurrence le pôle nord et ses alentours (Alaska et Sibérie orientale) représente des zones non habitables et donc une fracture qui sépare l’Amérique de l’Eurasie-Afrique. L’hémisphère sud dispose du tiers restant (50 millions de km²) équivalent à 19% de sa superficie, l’Antarctique (14 millions de km²) en représente une partie inhabitable importante.
De ce constat géographique, le monde de la terre se compose de deux blocs majeurs :
- L’île monde Amérique
- Le monde continental formé de l’Eurasie et de son extension vers le sud, l’Afrique subsaharienne
La perspective démographique nous enseigne que 90% de la population mondiale se trouve dans l’hémisphère nord le long de ce que nous appellerons le corridor optimum du vivant, c’est-à-dire le corridor présentant les conditions les plus favorables au vivant en termes de climat, d’accès à l’eau, et à des terres arables ou pastorales. Cette population se répartit grossièrement selon un axe majeur d’est en ouest compris entre le tropique du cancer et le 60ème parallèle nord.
1.2 Facteurs Complémentaires à l’Échelle des Nations
À la suite de ces invariants géographiques et démographiques, il est utile à l’échelle des nations d’introduire deux notions supplémentaires :
- Le degré d’ouverture des pays entre États enclavés, États ouverts aux mers, États îles
- Le degré d’autosuffisance des nations entre les pays riches en ressources naturelles et producteurs, les pays consommateurs et pauvres en ressources, et les pays carrefours à vocation marchande
Nous clôturerons cette introduction à notre problématique par une caractéristique importante à caractère évolutif en fonction du temps : c’est l’appartenance à une aire civilisationnelle ou culturelle spécifique et/ou différenciée qui aura tendance à gommer ou accentuer l’impact de l’ADN géographique.
1.3 Fresque Historique des Routes Commerciales
L’Histoire nous enseigne que l’humanité a débuté sa croissance sur la base de noyaux de vie autonomes et que les échanges et routes commerciales étaient quasi inexistants. Il a fallu attendre la naissance au troisième millénaire avant J.-C. des foyers de civilisations en Chine, dans l’Indus, en Mésopotamie, et en Égypte pour qu’apparaissent les premiers échanges et routes intra-civilisationnelles s’appuyant principalement sur les cours d’eau.
La route de l’encens (vers 1800 av. J.-C.) apparaît comme la première route commerciale connue et relie par voie maritime le sous-continent indien et la péninsule arabique. Elle se développe grâce aux caravanes de chameaux jusqu’à atteindre la Mésopotamie et l’Égypte via la ville de Petra en Jordanie qui devient un important carrefour commercial vers la Méditerranée orientale.
La route de la soie apparaît vers 200 av. J.-C., elle ouvre la porte aux échanges entre l’empire chinois qui détient le secret de sa fabrication et le Moyen-Orient via Samarcande. L’empire romain vers 30 av. J.-C. reprend à son compte le passé, remonte le Nil, se met en contact avec le royaume d’Aksoum qui maîtrise la navigation en haute mer, court-circuite la péninsule arabique et relie ainsi le bassin méditerranéen à l’Inde. Il double cette route par la terre via l’empire parthe et ultérieurement l’empire sassanide pour rejoindre Samarcande et la Chine. Rome est remplacée par Constantinople qui devient le nouveau carrefour commercial entre l’occident et l’orient.
La première globalisation du monde connu se confond avec l’expansion du monde arabo-musulman. À la bataille de Talas en 751 ap. J.-C., ils défont les Chinois, s’approprient les secrets de la soie et du papier alors que les Chinois se détournent des routes terrestres pour se concentrer sur les routes maritimes jugées plus sûres et avec moins d’intermédiaires, et ouvrent leurs ports aux étrangers. Les Arabes saisissent l’opportunité et s’imposent au centre du vaste réseau commercial terrestre et maritime, unissant l’orient à l’occident et le nord au sud. L’Afrique est incorporée au cours du Xème siècle via les échanges d’or, d’esclaves, et d’ivoire. L’époque des croisades voit les républiques italiennes prendre à leur compte le commerce entre le Proche-Orient et l’Europe.
La première globalisation mondiale voit le jour avec l’invention de la caravelle, la redécouverte des Amériques par les Espagnols, et l’ouverture de la route des Indes via le cap de Bonne-Espérance par les Portugais. L’empire ottoman et sa capitale Constantinople perdent le monopole du commerce. Le monde est partagé entre les vainqueurs, le méridien de Tordesillas et son équivalent en Asie du Sud-Est délimitent les zones d’influences respectives.
La suite se confond avec les reconfigurations impériales, l’Angleterre et la France assurent la première succession, les USA prennent le relais au XXème siècle et garantissent la pax americana sur toutes les routes commerciales. Les accords du GATT puis de l’OMC parachèvent le mouvement pour aboutir à la configuration actuelle.
Volet 2 : Où en Sommes-Nous ? État des Lieux du Commerce Mondial
La configuration actuelle des routes commerciales est le produit de cette histoire millénaire, mais elle est aujourd’hui mise à rude épreuve par une succession de crises qui en révèlent les fragilités structurelles et remettent en question les équilibres établis.
2.1 Les Artères Vitales du Commerce Actuel
Le transport maritime demeure la colonne vertébrale du commerce mondial, confirmant la prédominance naturelle imposée par la fracture Terre/Océan identifiée dans nos invariants géographiques. Il assure près de 90% du volume des marchandises échangées dans le monde [1], une proportion qui n’a cessé de croître depuis l’avènement de la conteneurisation dans les années 1960.
Les flux se concentrent aujourd’hui sur trois routes principales qui connectent les grands bassins du “corridor optimum du vivant” :
La route Asie-Europe constitue l’axe le plus fréquenté au monde. Elle traverse le détroit de Malacca, l’océan Indien, la mer Rouge et le canal de Suez avant d’atteindre la Méditerranée. Le canal de Suez, infrastructure stratégique de 193 km de long, voit transiter environ 12% du commerce mondial et 22% du trafic de conteneurs [2]. Cette route illustre parfaitement la connexion vitale entre le “monde continental Eurasie-Afrique” et les marchés européens.
La route Trans-Pacifique connecte la Chine et l’Asie de l’Est à la côte ouest de l’Amérique du Nord, matérialisant les échanges entre le “monde continental” et “l’île monde Amérique”. Cette route a pris une importance considérable avec l’essor économique de la Chine et son intégration dans les chaînes de valeur mondiales.
La route Trans-Atlantique, historiquement centrale depuis les grandes découvertes, continue de relier l’Europe et l’Amérique du Nord, bien que son importance relative ait diminué avec la montée en puissance de l’Asie.
2.2 Les “Choke Points” : Zones de Friction Géopolitique
Ces routes dépendent de points de passage stratégiques dont la perturbation peut paralyser le commerce mondial, confirmant l’importance historique du contrôle des carrefours commerciaux. Ces “choke points” (points d’étranglement) sont devenus des enjeux géopolitiques majeurs.
| Point d’Étranglement | Contexte de Crise | Impact sur le Commerce |
| Canal de Suez / Mer Rouge | Attaques des Houthis depuis fin 2023 suite au conflit Gaza-Israël | Chute de 60% du trafic en 2024. Perte de revenus de 62% pour l’Égypte (3,6 Md USD). Déviation par le Cap de Bonne-Espérance (+10-15 jours) [3] |
| Canal de Panama | Sécheresse historique liée au changement climatique | Réduction drastique du nombre de transits quotidiens, affectant une route qui pèse 3% du commerce maritime mondial |
| Détroit d’Ormuz | Tensions géopolitiques récurrentes avec l’Iran | Point de passage vital pour environ 20% de la consommation mondiale de pétrole |
| Détroit de Malacca | Piraterie, forte densité de trafic et tensions sino-américaines | Route incontournable pour le commerce entre l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient |
L’exemple le plus marquant de cette vulnérabilité reste le blocage du canal de Suez par le porte-conteneurs Ever Given en mars 2021. Cet incident, qui a duré six jours, a illustré de manière spectaculaire la fragilité du système commercial mondial, avec un coût estimé entre 5 et 9 milliards de dollars par jour pour le commerce international [2]. Plus de 400 navires ont été bloqués, créant des perturbations en cascade dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.
2.3 Les Nouvelles Logiques et Routes Émergentes
Face à ces tensions et vulnérabilités, de nouvelles dynamiques se développent, rappelant les grandes reconfigurations historiques des routes commerciales analysées dans le Volet 1.
Les “Nouvelles Routes de la Soie” (Belt and Road Initiative – BRI) représentent la tentative chinoise la plus ambitieuse de recréer les anciens réseaux terrestres tout en développant des routes maritimes alternatives. Lancé en 2013 par le président Xi Jinping, ce projet d’infrastructures a déjà mobilisé plus de 900 milliards de dollars d’investissements dans plus de 150 pays [4]. En 2024, un record de 70,7 milliards de dollars en contrats de construction a été signé. Cette initiative vise à sécuriser les chaînes d’approvisionnement chinoises, à réduire la dépendance aux routes maritimes traditionnelles contrôlées par les puissances occidentales, et à étendre l’influence géopolitique de Pékin.
La Route Maritime du Nord (Arctique) illustre comment le changement climatique peut littéralement redessiner la géographie commerciale mondiale. La fonte des glaces arctiques ouvre progressivement une nouvelle voie maritime le long de la côte sibérienne, potentiellement révolutionnaire pour les échanges entre l’Asie et l’Europe. Bien que le trafic ait atteint un record en 2024 avec près de 38 millions de tonnes, il reste encore 12 fois inférieur à celui de Suez [5]. Cette route, activement promue par la Russie et soutenue par la Chine, pourrait réduire de 40% la distance entre l’Asie et l’Europe, mais elle soulève d’importantes questions environnementales et géopolitiques, notamment dans le contexte des sanctions occidentales contre la Russie.
La Régionalisation des échanges marque un retour aux logiques de proximité géographique et d’affinités culturelles, confirmant l’importance du facteur civilisationnel identifié dans notre analyse. En réaction à l’hyper-mondialisation et à ses fragilités, les échanges intrarégionaux s’intensifient. Ils représentent désormais plus de 70% des flux commerciaux en Europe et dépassent 50% en Asie [6], créant des chaînes de valeur plus courtes, plus résilientes et moins exposées aux chocs géopolitiques mondiaux.
Volet 3 : Où Allons-Nous et Comment Assurer la Résilience ? Projections et Stratégies
L’avenir des routes commerciales se dessine dans un environnement où l’incertitude géopolitique est devenue la nouvelle norme. Pour les entreprises et les États, l’enjeu n’est plus seulement d’optimiser les coûts et l’efficacité, mais de construire une résilience capable d’anticiper, d’absorber et de s’adapter aux chocs multiples.
3.1 Tendances Structurelles à Anticiper
Une augmentation des crises et des perturbations : Dans un contexte de raréfaction des ressources, de transition énergétique, d’accélération technologique, d’accroissement de la population et de la demande mondiale, et de déclin de la puissance dominante garante de l’équilibre, il est hautement probable que le rééquilibrage mondial se traduira par des déséquilibres et des crises de plus en plus violentes.
Vers une “Slowbalisation” Fragmentée : Nous assistons à un ralentissement et à une fragmentation de la mondialisation. La croissance du commerce mondial devrait se stabiliser autour de 2% par an jusqu’en 2028 [7], bien en deçà des taux de croissance des décennies précédentes. Cette “slowbalisation” s’accompagne d’une réorganisation autour de blocs géopolitiques et d’affinités civilisationnelles, confirmant l’importance du facteur culturel identifié dans le Volet 1. Les entreprises devront naviguer dans un système où les normes douanières, environnementales et techniques varient d’une région à l’autre.
La Sécurité avant le Coût : Le paradigme du “juste-à-temps”, qui a dominé la logistique mondiale pendant des décennies, cède progressivement la place à une logique du “juste-au-cas-où”. Cette transformation privilégie la diversification des sources d’approvisionnement, la constitution de stocks de sécurité et la flexibilité opérationnelle à l’optimisation pure des coûts. Les entreprises acceptent désormais de payer une “prime de résilience” pour sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.
L’Accélération Technologique : L’intelligence artificielle, l’Internet des Objets (IoT) et la blockchain offrent des outils puissants pour améliorer la visibilité, la traçabilité et la gestion prédictive des chaînes d’approvisionnement. Ces technologies permettent une gestion des risques plus proactive et une capacité de réaction plus rapide aux perturbations.
3.2 Stratégies de Résilience pour les Entreprises
Pour bâtir une résilience accrue, les entreprises doivent adopter une approche multidimensionnelle qui combine diversification géographique, innovation technologique et agilité organisationnelle.
Cartographier et Diversifier la Chaîne d’Approvisionnement : Il est devenu crucial pour les entreprises de ne plus dépendre d’un seul fournisseur ou d’une seule région géographique. Cette diversification passe par une connaissance fine de l’ensemble de la chaîne, y compris les fournisseurs de rang 2 et 3, pour identifier les points de vulnérabilité cachés. Les entreprises doivent utiliser des solutions logicielles avancées pour obtenir cette visibilité complète et développer des stratégies de sourcing alternatives.
L’approche “Chine + 1” illustre parfaitement cette stratégie. Elle consiste non pas à quitter la Chine, mais à développer une source d’approvisionnement alternative dans un pays tiers (Vietnam, Inde, Mexique, Turquie) pour répartir les risques géopolitiques et opérationnels. Cette stratégie permet de maintenir les avantages de l’écosystème industriel chinois tout en se prémunissant contre les perturbations.
Régionaliser et Raccourcir (Nearshoring/Reshoring) : La tendance au rapprochement géographique de la production s’accélère. Les entreprises réévaluent leur coût total de possession (TCO) en intégrant les coûts cachés : risques géopolitiques, délais de transport, coûts de stockage, impact environnemental et flexibilité opérationnelle.
L’exemple d’IKEA illustre cette transformation. Le géant suédois du meuble a décidé de déplacer une partie de sa production d’Asie vers la Turquie pour mieux servir le marché européen. Cette décision fait suite à la multiplication par six des coûts de fret par conteneur depuis l’Asie pendant la pandémie (de 2 000 à 12 000 dollars) [8]. La Turquie, par sa position géographique stratégique entre l’Europe et le Moyen-Orient, offre un compromis optimal entre coûts de production et proximité des marchés finaux.
Investir dans la Technologie pour la Visibilité et l’Agilité : Les entreprises leaders investissent massivement dans des technologies qui leur permettent d’anticiper et de réagir plus rapidement aux perturbations.
La blockchain révolutionne la traçabilité des produits et la simplification des procédures douanières. L’exemple de Walmart est particulièrement éclairant : l’entreprise utilise la blockchain pour tracer ses produits alimentaires, lui permettant de remonter à la source d’une contamination en quelques secondes au lieu de plusieurs jours. Cette capacité de traçabilité instantanée réduit considérablement les coûts liés aux rappels de produits et améliore la sécurité des consommateurs.
L’intelligence artificielle permet une modélisation prédictive des risques et une optimisation dynamique des stocks et des routes. Les algorithmes peuvent analyser en temps réel des milliers de variables (conditions météorologiques, tensions géopolitiques, mouvements de prix) pour recommander des ajustements proactifs.
3.3 Recommandations pour la Gouvernance Mondiale du Commerce
La fluidité du commerce ne dépend pas uniquement des stratégies d’entreprises. Les acteurs publics ont un rôle crucial à jouer pour créer un environnement stable et prévisible, rappelant l’importance historique de la “pax” (romaine, britannique, puis américaine) pour sécuriser les routes commerciales.
Renforcer la Coopération sur les “Choke Points” : Face à la multiplication des crises affectant les points de passage stratégiques, il devient urgent de promouvoir des statuts internationaux garantissant la neutralité et la sécurité de ces infrastructures vitales. L’opération “Gardien de la Prospérité” lancée par les États-Unis en Mer Rouge en 2024 illustre cette nécessité, mais elle doit évoluer vers des missions de surveillance véritablement multilatérales pour être acceptées par tous les acteurs du commerce mondial.
Harmoniser et Digitaliser les Procédures : L’accélération de l’adoption de standards de données communs et de documents numériques (connaissement électronique, e-CMR, certificats d’origine digitaux) permettrait de fluidifier considérablement le passage aux frontières, de réduire les coûts administratifs et d’améliorer la traçabilité des marchandises. Cette digitalisation est d’autant plus urgente que les contrôles douaniers se complexifient avec la multiplication des réglementations environnementales et de sécurité.
Investir dans des Infrastructures Alternatives et Redondantes : Pour réduire la dépendance aux routes maritimes traditionnelles et aux “choke points” vulnérables, il est essentiel de soutenir le développement de corridors multimodaux (rail-route-mer) qui offrent des alternatives crédibles.
Le “Middle Corridor” (passant par l’Asie centrale, la mer Caspienne et le Caucase) et l’“India-Middle East-Europe Economic Corridor (IMEC)” annoncé lors du G20 de 2023 représentent des opportunités stratégiques pour diversifier les flux et contourner les zones d’instabilité. Ces projets, bien que moins médiatisés que les Nouvelles Routes de la Soie chinoises, pourraient offrir des alternatives géopolitiquement plus neutres.
Vers une Nouvelle Géopolitique des Flux
Cette analyse confirme que les invariants géographiques et démographiques identifiés dans le Volet 1 continuent de structurer fondamentalement les échanges mondiaux, mais leur expression évolue profondément sous l’effet des tensions géopolitiques, des innovations technologiques et des impératifs environnementaux.
L’âge d’or d’une mondialisation fluide et optimisée, garantie par la pax americana et encadrée par des institutions multilatérales stables, semble définitivement révolu. Nous entrons dans une ère de compétition géopolitique où la maîtrise des flux redevient un attribut central de la puissance, rappelant les leçons millénaires de l’histoire des routes commerciales.
Cette transformation ne signifie pas la fin de la mondialisation, mais plutôt son évolution vers un système plus fragmenté, plus régionalisé et plus résilient. Les routes commerciales de demain seront probablement plus diversifiées, plus technologiques et plus respectueuses de l’environnement, mais aussi plus politisées et plus instrumentalisées.
Pour les entreprises, la résilience n’est plus une option mais une condition de survie dans ce nouvel environnement. Celles qui réussiront seront celles qui sauront transformer cette nouvelle donne en avantage compétitif, en bâtissant des chaînes d’approvisionnement non seulement efficaces et optimisées, mais surtout diversifiées, agiles, intelligentes et durables.
L’histoire nous enseigne que chaque grande reconfiguration géopolitique a redessiné la carte des routes commerciales. Nous vivons probablement aujourd’hui l’une de ces reconfigurations majeures, dont les contours définitifs ne se dessineront qu’au cours des prochaines décennies. Les acteurs qui sauront anticiper et s’adapter à cette transformation seront les gagnants de la prochaine ère du commerce mondial.
Dans cet univers VUCA, la clé de la résilience résidera dans la capacité d’adaptation. Les routes commerciales continueront d’être les artères du monde, mais leur trajectoire dépendra désormais moins de la géographie que de la stratégie. La puissance, demain, appartiendra non pas à celui qui contrôle la mer, mais à celui qui saura anticiper les tempêtes.
Références
[1] Musée National de la Marine, “Infographie : les chiffres-clés des échanges maritimes”, 2023.
[2] CNUCED, “Étude sur les transports maritimes 2024 – Points de passage maritimes stratégiques : naviguer entre les écueils”, 2024.
[3] Direction générale du Trésor, “Le trafic du canal de Suez : d’une crise à l’autre”, 26 août 2025.
[4] Green Finance & Development Center, “China Belt and Road Initiative (BRI) Investment Report 2024”, 27 février 2025.
[5] Mer et Marine, “Russie : le trafic sur la route maritime du nord a augmenté en 2024”, 8 janvier 2025.
[6] Organisation Mondiale du Commerce, “Rapport sur le commerce mondial 2024”, 2024.
[7] CNUCED, “Perspectives du commerce maritime mondial 2025”, septembre 2025.
[8] Reuters, “IKEA to shift more production to Turkey to shorten supply chain”, 6 octobre 2021.






